Anthropologie, politique et engagement social. L’expérience du Bureau d’ethnologie d’Haïti

Pour comprendre l’histoire du Bureau d’ethnologie et son poids idéologique dans le panorama intellectuel haïtien, il faut remonter à une trentaine d’années avant sa création, plus précisément à l’année 19152. Le pays, déchiré par des luttes intestines incessantes est alors occupé militairement par les États-Unis. Cet événement, qui a infléchi l’histoire du pays, provoque un sursaut et une prise de conscience dans certains secteurs de la société. Car il fallait chercher les causes de la «gifle» pour mieux comprendre et réparer l’outrage. Très vite, des membres des classes paysannes prennent les armes : les plus farouches sont les « cacos », menés par Charlemagne Péralte. Préférant la plume aux armes, certains membres de la bourgeoisie noire et mulâtre organisent la résistance sur les fronts politique et culturel. Jean Price-Mars, avec la publication de Ainsi parla l’Oncle (1928), s’affirme comme l’une des figures de proue d’un nouveau « nationalisme culturel » fondé sur la valorisation de l’héritage africain. D’autres figures s’imposent également, notamment Jacques Roumain, de la Revue Indigène (1927), et les jeunes de la revue Les Griots (1938-1939) ayant à sa tête les « trois D » : Louis Diaquoi, Lorimer Denis et François Duvalier. Entre tous ces groupes, que l’on peut situer comme appartenant à la « mouvance indigéniste » (Trouillot 1993), il y a certes une position commune autour de ce « nationalisme culturel » vaguement défini, mais il existe surtout de pofondes divergences idéologiques quant à la lecture de l’histoire et de l’organisation sociale haïtienne, divergences qui tiennent principalement à leurs origines sociales différentes. Dans la foulée de l’ » indigénisme », proposition esthétique, émergeront des doctrines sociales et politiques dont il faudrait se garder d’établir trop hâtivement des filiations conceptuelles. La question de couleur, qui a toujours été une pomme de discorde dans la société haïtienne, est à nouveau posée dans toute son acuité par Les Griots. Alors que la Revue Indigène disparaît, le groupe des Griots se renforce. Il articule une nouvelle vision de l’identité haïtienne, fondée sur une définition de la race, conçue non plus seulement comme une catégorie biologique, mais surtout et avant tout, comme une catégorie sociale et culturelle. Des débats sur l’histoire, la culture, la nation ont lieu entre les membres des clubs sociaux, littéraires et politiques qui fleurissent; des polémiques s’engagent, qui s’intensifieront pendant les années 1940. C’est sur ce fond d’agitation politique, de revendications sociales et de quête identitaire que le 31 octobre 1941 est fondé le Bureau d’ethnologie de la République d’Haïti

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